lundi 5 novembre 2012

L'EXIL À DOUZE ANS




YVETTE




        Elle a des yeux, mon cher ! ... De ceux dont on dit qu'ils roulent comme des boules de billard ... Expressifs !

   Ce n'est pas une beauté, mais c'est une femme qui pétille de dynamisme, d'intelligence et d'humour ... Elle raconte :

                                  *

  - " Je suis née à Huahine, sous les cocotiers. J'ai pataugé dans le lagon. Tous les dimanches matin on me mettait une robe à volants et je partais vers le temple, mes chaussures à la main ...

      Et puis on me met en pension à Papeete... C'est déjà une capitale ... Je m'y fais.

    Alors voilà : J'ai douze ans. Il paraît qu'il faut que je poursuive mes études en France. Comme je sors du collège protestant, on m'envoie à Strasbourg ... C'est où, Strasbourg ? ... Et puis, j'ai un peu peur de ne rien comprendre là-bas : Je sais très bien qu'en France, on ne parle ni le Tahitien, ni un véritable Français comme je le connais. 

    Un "véritable Français" ... Tu parles ... Quand j'ai passé mon Certificat d'études, à Papeete ... Le professeur qui lisait la dictée ... On ne comprenait rien à ce qu'il disait ! - Quand j'arrivais à identifier un mot, je l'écrivais à la hâte et je laissais tout le reste en blanc, avec l'espoir de comprendre mieux à la relecture ... Nous qui étions habitués à des intonations standard et à des prononciations nettes, détachant bien les syllabes ... Les copains, dans la salle, me faisaient des signaux désespérés : J'étais la plus dégourdie, c'était donc moi qui devais expliquer ce  qui se passait ... Je lève le doigt ... j'explique ... Le professeur éclate de rire ! - Nous avons repris la dictée avec quelqu'un qui parlait vraiment le Français ... Le nôtre !


    Quand elle raconte, ses mains sont extraordinairement mobiles. Tout le visage est expressif : Les sourcils se lèvent ou se froncent, les narines palpitent, les yeux, les lèvres ... Une vraie conteuse professionnelle !



                                 

    - " Alors, tu comprends : j'ai douze ans ... Me voilà dans l'avion ... Bon, l'avion, ça va ! On m'en a tant parlé que je ne suis pas impressionnée : Je sais que quelqu'un va m'attendre à Paris ... Mais c'est qu'il y a une escale à Los Angelès! Il faut descendre de l'avion, entrer dans l'aérogare, passer des contrôles ... 

      Tu regardes bien : C'est fléché ! Tu suis les panneaux sur lesquels il y a marqué "Transit" ... Tu ne peux pas e tromper !

      On monte dans un autobus ... j'ai une valise dans une main, un sac dans l'autre ... Ne pas les quitter : - " Tu risques de te les faire voler !"

      On me donne un ticket et ... Transit ! ... C'est bien : C'est par là ! ... Couloir ... Un long couloir, sans fenêtres, éclairé par des lampes invisibles ... Moquette par terre : Je marche sur la pointe des pieds ! ... Un virage à droite, presque à angle droit ... Un autre virage, long, long ... Le couloir !

     Plus de panneaux ... Affolement ! Le Monsieur qui est devant moi : Il parle Français ...Il va donc à Paris ! Je suis le Monsieur ... Il marche vite. J'accélère ... Pas une seconde je n'ai pensé qu'un Français puisse descendre à Los Angelès !

   Nouveau virage du couloir ... Plus de Monsieur !

   Je suis au pied d'une espèce d'escalier dont les marches montent toutes seules jusqu'à l'étage au-dessus  ... Mon Monsieur est tout en haut ... Comment faire pour monter sur ces marches qui défilent ?  - J'ai les deux mains occupées par mes bagages ... La rampe défile elle-aussi ... Je saute à pieds joints : Me voilà partie !

  Mais à l'arrivée ?  ... À l'arrivée, je me prends les pieds dans mon sac et dans la valise : Je culbute ... J'arrive à plat-ventre ... Mais j'arrive ! 

 - Et mon Monsieur ? 

  Il est là. Il passe une porte en verre, tout au bout du couloir ... Je cours. 

  J'arrive : Il n'y a plus de porte ... Il n'y a pas de poignée ... Il y a seulement une cloison de verre, continue. Pourtant, mon Monsieur est passé, lui ...
Je le vois à travers la vitre. 

  Arrive une dame ... La vitre glisse et s'ouvre. La dame est passée ! ... Tout se referme en silence. 

  - Mon Monsieur ! ... je vais le perdre ... Je fonce dans la vitre ... Je baisse la tête et je protège mon visage avec mon bras ... 

 La vitre s'est ouverte ! Je ne sais pas comment ...

C'était en mille neuf cent cinquante sept ... J'avais douze ans et j'allais à Strasbourg ...

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