lundi 5 novembre 2012

RAÏATEA, LA SACRÉE

ÎLES SOUS LE VENT



    "L'Île, disais-je, est l'outrance du village." Je le disais il y a dix ans déjà, demeurant à Raïatea. Je pensais, bien sûr aux outrances des jalousies, des outrances, des commérages ...

     Il est bien vrai et cela perdure. Mais, en mille neuf cent quatre vingt quatorze, quelques enseignements sont à tirer, les éclairages étant plus crus sans doute pour le passant que pour le résident.

     Au premier abord, l'île ne se semble pas abîmée. Elle paraîtrait même plus belle, plus verte, 
plus fleurie, face à un horizon sur lequel se détachent, superbes, les îles voisines : Huahiné, Tahaa, Bora-Bora ...


                                  

     Évidemment, l'affligeant spectacle offert par l'agglomération d'Uturoa ne peut que surprendre : Antiques baraques que l'on tarde à démolir, façades de béton écaillé, toitures rouillées, vitrines surchargées de bric-à-brac, bâtiments publics s'efforçant de jouer les cathédrales ... L'hôpital est tout neuf ... Il est vieux pourtant !

    Les rues, les routes, sont plutôt devenues meilleures et il n'y a guère d'embarras de circuletion (Heureux habitants !) ... Le lagon, qui enchâsse tout à la fois Raïatea et Tahaa a toujours des couleurs de vitraux somptueux : Le coup d'oeil, à lui seul, vaut le voyage (Très cher par ailleurs ...)

    Les bateaux viennent régulièrement à quai. les avions dansent un ballet de libellules.

                               ***

   Il y a un lycée d'enseignement général. On y fabrique des baccalauréats dont les titulaires ne voudront devenir ni secrétaires, ni dactylos, mais sont à peu près assurés de devenir instituteurs et institutrices ...

   Splendeur des structures "adaptées" ... Il deviendront fonctionnaires d'État ... Une institutrice, ici, fait vivre une tribu de gosses à baladeurs et à V.T.T. Son époux, lui, a souvent pour occupation essentielle de boire de la bière ... On engraisse, à force de sucres et de féculents ...
À ce stade, on a parfois du mal à distinguer les hommes et les femmes : À l'entour, personne n'était capable d'identifier le sexe de la créature qui s'exclaffait en écartant les jambes et les bras et qui dut avoir bien du mal à s'asseoir dans l'avion ...
Elle payait pour combien de places ?

                              ***

    De part et d'autre d'Uturoa, tout le bord de mer est colonisé par les enseignants de collèges et des lycées : Les maisons qu'ils occupent leur sont louées par les commerçants Chinois ou par les "demis". Les locataires se succèdent tous les trois ans ou tous les six ans, selon la longueur de leur contrat et selon la façon dont l'épouse du fonctionnaire expatrié a su occuper son ennui ...

                                 *

   Merveilleux pays ! ... C'est un territoire français, mais il y a des Français qui le sont d'une autre façon que les autres ... Pour bénéficier des gros salaires, des indemnités et des primes,tout le monde est Français. Tout le monde se voit offrir tous les trois ans un voyage gratuit vers la métropole, avec "congé bonifié" ... Et cela qu'il s'agisse d'un expatrié ou d'un "allogène"... Beaucoup, du reste, préfèrent ne pas en bénéficier car les avantages de l'indexation sont supérieurs au coût du voyage.

    Mais lorsqu'il s'agit de vie sociale, il y a les citoyens d'ici et les citoyens d'ailleurs ... Dans les assemblées locales, il n'y a pas un seul élu d'origine métropolitaine ... C'est sans doute ce que recouvre la notion d'autonomie. Du reste, les européens se satisfont très bien de ce statut : Il permet de railler sans frais !

      Il est vrai que la règle n'en fait que des passants ... Ils ne demeurent ici que le temps nécessaire à l'achat d'un appartement en métropole.
       Pour l'heure, ils filent sur le lagon en canots hors-bord et vont à la pêche à l'espadon ... Pour les femmes, il y a la bronzette ou les papotages, souvent les deux.

       Quelques européens, en se mariant ici, ont gagné des privilèges. Ils en ont conscience et se taisent. Quant aux Tahitiens ... Ils en ont tellement vu passer, des Européens !



                                      




                               ***

   On évoquait autrefois les miasmes et les fièvres tropicales ... On en retrouve encore ici l'exécrable atmosphère ... Il n'est question, ici, que de rivalités individuelles, de corruption, de rancoeurs.


   En plus du lycée d'enseignement général, il y a ici un lycée d'enseignement professionnel, deux collèges, des établissements d'enseignement privé, des écoles primaires et des écoles maternelles. Cela fait beaucoup de fonctionnaires qui s'ignorent ou se toisent. 

         C'est là que naissent les histoires, sur fond d'ennui ou d'envie. S'y ajoutent les politiques, ( On n'en finirait pas d'évoquer les promotions soudaines et les carrière brisées ...) Pour l'heure, c'est un responsable de l'Éducation Nationale que l'on chasse : Uturoa bruit de rumeurs de poursuites au tribunal Administratif et de requètes d'avocats ... Ce n'est pas la première fois !

                             ***

  Le Tahitien moyen, lui, se gave de télévision, s'empiffre de sucreries, boit de la bière ou du coca cola. Il mâchouille des "twisties".

                              ***

    Pourtant, Raïatea est splendide, incomparable ... Il faut fuir les pensions approximatives (Il y en a ...) Leurs propriétaires importés rêvent de percer les montagnes, tracer de routes, niveler des terrasses ... Ils rêvent de bâtir et d'installer des machines à sous ...

    Dans chaque terrasse, la pluie creuse des sillons ... Elle entraîne les boues rouges jusque dans le lagon ... 

    Les adolescents fument du haschich ou consomment des champignons hallucinogènes ...

   Au sommet du Teméhani, et sur ce sommet seulement s'épanouit la fleur du tiaré apetahi, unique au monde ... Pour combien de temps encore ?



                                 

                                  ***

   C'est sous la surface que Raïatea est abîmée, sous la ligne de flottaison ... Sous la surface des êtres et des flots ... 

  Le lagon a toujours ses couleurs d'émeraude et de saphir, à nulle autre pareilles ... Il est toujours bordé de blanc, du côté du récif ... Il est sillonné par un nombre toujours plus important de voiliers. Mais, sous la surface, les coraux sont morts, ternes, gris, bousculés, excavés ... L'eau, en suspension, est embrumée d'une sorte de poussière ... Les émaux sont éteints. 

    Par quelle folie, les hommes ont-ils détruit les fonds pour en tirer le calcaire dont ils se sont servis pour en recouvrir les routes ?

   e le savais ... C'était déjà ainsi, il y a dix ans ... J'avais compté sur le pouvoir régénérateur de la mer ... Mais tout ne peut être régénéré, sans doute. 

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